Des paellas et des vins

Que boire sur une Paella ?

Si vous faites un tour par l'Espagne cet été, peu de chance que vous en repartiez  sans avoir dégusté une paella ! Mais, entre Paella aux fruits de mer et Paella au chorizo, quel vin servir pour réaliser un accord parfait ? Laissez-moi donc vous conter une expérience récente où 4 vins aux profils très distincts furent servis, à chaque fois avec  4 paellas différentes.

La Paella est à coup sûr le plat identitaire de l'Espagne. C'est pourtant une institution récente, instaurée par Franco à l'issu de la guerre civile . Il y voyait un plat aux ingrédients facilement disponibles et accessibles à tous. La paella rappelait aussi les couleurs du drapeau national,  poivron et tomate pour le rouge et riz safrané pour le jaune.

Voilà comment ce plat originaire de la région de Valence est passé du statut de "plat du pauvre", à un mets qui possède même aujourd'hui sa journée mondiale, fixée au 20 septembre.

La Paella a encore des mystères pour vous  ? Aucun souci , elle a son propre portail internet, wikipaella.org. C'est dire si la paella pour les Valencianos est une histoire sérieuse.

Une personne, amusée, nous précise sur le site "Valencia expat services" " Ici, on peut changer de mari ou de sexe mais on ne change pas la recette de la paella !". La liste des ingrédients est codifiée.  Naturellement mélanger fruits de mer et viandes est hérétique et vous vaudra le bûcher.

La paella est donc au départ un plat de paysan, dont on retrouve les premières mentions écrites au 18ème siècle. Logiquement donc,  les recettes originelles associaient des légumes du potager (tomates, poivrons) à ceux de la basse-cour (lapin, poulet et même escargot), sans petits pois,  chorizo ou olives.

J'en reviens maintenant à

notre expérience à laquelle étaient conviés 18 membres d'un de mes clubs de dégustation.

Notre chef de cuisine nous avait concocté 4 recettes : une paella aux fruits de mer, une paella chorizo et poulet, une paella au riz noir (encre de seiche) et supions, et une dernière version, au lapin, escargots et paprika fumé.

Nous avions en face de ces paellas et côté vin, le plus connu et le plus servi de tous les vins espagnols, un Rioja rouge en version Crianza

(élevage en barriques de chêne de 18 mois) de la bodega David Moreno.

La seconde possibilité d' accord, aussi classique, s'offrait autour d'un vin blanc de Galice, de l'appellation Rias Baixas, issu du seul cépage Albarino (ici sans goût boisé, c'est tellement mieux!). Façonné par la Bodega Abadia San Campio, ce blanc constitue une des versions les plus éclatantes de ce cépage.

En face du "rouge corsé" de la Rioja, nous opposions un rouge léger, issu de l'appellation qui "monte" en Espagne,  Bierzo , en région Castille y Leon, au-dessus de la pointe nord-est du Portugal. Issue du cépage Mencia, la cuvée "Petit Pittacum" de la Bodega Pittacum, livre une version très fruitée du cépage, qui évoquerait presque un vin "canaille" des bords de Loire.

Enfin, nous avons fait une petite incartade au Portugal, juste de l'autre côte de la frontière, dans la région du Douro, pour tester un assemblage de Sémillon (cépage emblématique des Bordeaux blancs - et appelé localement boal) et de Verdelho . Ces deux cépages sont connus pour leur richesse en sucre . Pour autant, dans ce "Branco Reserva" élaboré par la quinta Aneto, le vin reste bien sec en final avec des arômes de citron vert, de fruit de la passion et de poivre timut.

Nous commençons notre expérience avec la paella aux fruits de mer. Sans surprise, l'accord avec le blanc de Galice est le plus réussi. Les 2 rouges écrasent le plat et eux ne gagnent rien dans l'accord. Notre assemblage portugais semble trop gras et évolue à part du plat.

Place ensuite à la Paella à l'encre noire et aux supions. A notre surprise, ce sont les 2 vins les plus fruités qui l'emportent. Il faut croire que la note saline intense, apportée par l'encre de seiche, a besoin d'être contrebalancée par la puissance de notes fruitées. Notre premier choix va même au Mencia de Bierzo. Son côté "jus rouge coulant" n'est pas gêné par les supions et contrôle le sel. Notre assemblage portugais s'en sort assez bien, avec sa rondeur en cœur de bouche tempérant l'encre noire.

La paella au chorizo et au poulet, débarrassée de notes marines, où dominent l'épice du chorizo, la tomate et le poivron compotés, se marie parfaitement à la puissance du Rioja, qui y gagne lui, par des tanins modérés par le gras du plat et le moelleux des légumes. Le Mencia et l'Albarino, pourtant plus marqués par leur fraîcheur (un atout face aux féculents comme le riz, "dévoreurs" d'acidité) disparaissent totalement dans l'accord.

Sur la dernière paella au lapin et escargots, nous relevons tout de suite la présence du paprika fumé qui "épice" fortement la bouche. Certains optent directement pour le Rioja, dans une logique de puissance entre le "feu" du plat, et la structure tannique du vin, qui impose "ses épaules".  Pour d'autres, l'alcool du Rioja attise le piquant du paprika, et préfèrent le vin blanc portugais. Ce dernier, par sa rondeur et son fruité intense, enrobe l'épice et s'harmonise bien du coté légèrement terreux de l'escargot.

Cette dégustation atypique souligne une fois de plus, qu'il est difficile de "coller" toujours le même vin à un mets, et que

seule la composition finale du plat peut vous indiquer, en fonction de ses traits dominants, la meilleure bouteille à servir.

Alors, faites confiance à votre instinct !

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